Avec L’adversaire, le réalisateur Satyajit Ray s’attaque cette fois-ci à une thématique contemporaine, celle d’une société se métamorphosant en un système bureaucratique kafkaïen. Une métamorphose qui ne convient pas à tous, encore moins au personnage de Siddhartha, un étudiant à la recherche d’un travail. Le cinéaste indien part ainsi de l’expérience individuelle de ce jeune homme pour dresser le portrait d’un monde étouffant et aliénant.
À la surprise du public, le film s’ouvre sur une séquence en négatif, un procédé qui interviendra à plusieurs reprises nous permettant d’accéder à l’intériorité du protagoniste à travers des flashbacks, des rêves voire des hallucinations. Cette rupture esthétique audacieuse permet d’amplifier la dualité entre un passé dans lequel Siddhartha pouvait s’épanouir et un présent qui fait de lui un être totalement marginal.
Cette dualité n’est pas seulement temporelle, elle est avant tout spatiale. Comme chez Murnau, le personnage n’arrive pas à suivre le rythme effréné de la ville. Les grands espaces qui demeuraient ruraux sont remplacés par des espaces confinés, des bus bondés... C’est dans les cadrages que Satyajit Ray a su exceller puisqu’il parvient à enfermer son personnage avec des sur-cadrages ainsi que des perspectives qui viennent écraser Siddhartha. À travers des plans éloignés de son protagoniste, le cinéaste indien crée une distance entre le jeune et cette société qui aliène et transforme ses habitants en du bétail. Le travail sur la photographie amplifie cette aliénation de l’individu puisque la lumière brute zénithale efface complètement les ombres et par extension les hommes, avec un soleil aveuglant qui écrase tout autant que la société indienne de l’ époque. C’est l’humanisme de Siddhartha qui finira par se distinguer de ses adversaires dans cet enfer bureaucratique.
Satyajit Ray a ainsi su s’emparer des ressources qu’offre le médium cinématographique et réussit à construire un film riche avec une esthétique parfaitement adapté à son fond tout en portant une problématique qui demeure d’actualité.
Clara
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