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Le Dieu noir et le Diable blond

Ouvrant la Trilogie de la Terre, composée de Terre en Transe en 1967 et Antonio Das Mortes en 1969, qui ramènera le moraliste humaniste du premier volet, le Dieu noir et le Diable blond est une fresque au lyrisme baroque. Sélectionnée à Cannes en 1964 et restauré pour y être reprogramée 58 ans plus tard, l'oeuvre demeure la synthèse du tropicalisme, courant ouvrant l'important moment de cinéma qu'a été le cinéma novo, dont Rocha, lancé par cette œuvre, fut un représentant majeur.


C'est dans le Sertao, région désertique du Nord-Est du Brésil que vivent péniblement, Manuel et sa femme Rosa, pauvres vachers que pressure Morales, grand propriétaire à qui appartiennent les vaches. Volé par ce dernier, Manuel le tue et doit fuir avec Rosa au risque d'être assassiné comme sa mère.



C'est au près de Sebastião, saint illuminé qu'on appelle le "béat noir", qu'il se réfugie. Manuel subjugué par ses promesses de rendre aux pauvres le paradis sur terre par des pluies d'or le suivra, entraînant Rosa plus sceptique. Sous la coupe du saint le malheureux paysan s'abandonnera aux pires excès d'un mysticisme primitif jusqu'à ce que Rosa poignarde mortellement le saint à la suite d'un rythe religieux sacrificiel. Suivra le massacre de la communauté de convertis trompés par Antonio das Mortes, mercenaire à la solde de l'Eglise.


A nouveau le couple doit fuir et c'est le tueur Corisco, que l'on peut littéralement traduire par "la foudre", qui les recueille pour entraîner Manuel sur les chemins de la violence. Il est un farouche défenseur des pauvres et l'ennemi juré des riches. Mais, lui aussi, sans toutefois invoquer Dieu, se livre à des exactions, viole, mutile et assassine. Ce qui révoltera Manuel qui comprendra enfin que Sebastião et Corisco sont les deux faces d'une même violence, exercée au nom de Dieu ou au nom du Diable.


C'est de nouveau Antonio das Mortes, cette fois ci à la solde du gouvernement, qui tuera Corisco laissant Manuel, enfin débarrassé d'une mythologie paralysante, poursuivre la lutte pour qu'un jour " la terre soit à l'homme, non à Dieu, non au Diable" comme il l'avance.


Pour Rocha la terre n'appartient effictevement ni à Dieu ni au Diable mais bien aux Hommes. Ou, du moins, elle devrait leur appartenir si la justice était autre chose qu'un rêve romantique entretenu par des individus à l'autorité autoproclamée.


Ainsi, c'est dans l'épique final qu'à la binarité des divinités incarnées, du dieu au diable, succède un troisième pôle, l'Humanité; L'Homme libre de ses croyances et seul maître de son destin.


En cela le film demeure un manifeste résolument athéiste, positionnement moral fort en 1964 dans un Brésil à majorité théologique.



Parfois la grandiloquence semble guetter le réalisateur tant il mène ses partis pris en d'élevés niveaux. Le ridicule n'est pas toujours loin comme en témoigne la mort de Corisco dans des hurlements déraisonnablement bestiaux. Mais Rocha hausse encore le ton et trouve son salut dans les excès même de son inspiration. Sans doute fallait-il un cinéma " en transe ", comme l'est son oeuvre pour exrpimer dans ce Brésil dictatorial les violents dangers des chimères.


Afin de représenter ces chimères Rocha use de deux espaces distincts et symboliques pour opposer le monde du dieu à celui du diable. Le dieu se tient au sommet d'une montagne couronée d'une chapelle.


S'inspirant des mythologies passées, de l'Olympe grec au mont Sinaï, Rocha fait de ce lieu un itinéraire à atteindre par l'ascension thématique. Y parvenir c'est se détacher de ses semblables des plaines et effacer ses péchés et perditions. Le héros fera ce chemin de croix portant une pierre jusqu'au sommet, moment de souffrance immense et de cure à des fins spirituelles face au saint impassible. C'est du sommet que les apprentis saints peuvent contempler la Sertao qu'ils dominent. Rocha illustre ainsi la prétention de L'Eglise sur le monde qui, comme il l'affirmera à la fin du métrage, n'est en rien supérieure au reste poussiéreux qu'est le tout magmatique humain.


La Sertao qui forme cette immense pleine aride, est le lieu terrestre sur lequel oeuvre le diable blond. Nottons qu'en inversant les canons de couleurs symboliques associés au diable -le noir- et au dieu -le blond ou le doré- Rocha crée une porosité dans cette binarité en rappelant son caractère littéraire et donc romancé : le Diable porte en lui ce que l'on voit en Dieu autant que le Dieu est couvert des attributs du Diable.


La Sertao donc, représente cette terre morne ou rien ne pousse sinon des arbustes sans feuillage. La montagne aussi, autre pôle des extrêmes climatiques, ne voit rien pousser sur son sol. Ni plaine, ni montagne ne sont des lieux de vie sinon de survie alimentés par de fausses croyances. Les paysages infinis de la plaine sans collines ou depuis le sommet dominant sont synonymes du vide qui entoure ces doctrines. La ligne d'horizon systématiquemment visible forme un fait de mise en scène commun à nombre de réalisateurs ayant évolués en milieux ruraux, c'est évidemment le cas de Rocha qui sait donner à cette ligne un sens comme Villeneuve le fera cinquante ans plus tard.


Dans cette binarité visuelle germe une binarité sonore : Le Dieu noir et le Diable blond est un film couvert de temps silencieux, pourtant il demeure un film bruyant. Les éléments sonores représentent les trois pôles moraux du film. Au dieu les chants religieux et aubades spirituelles, au diable le bruit des canons, des couteaux tranchants, des cris et des pleurs et à l'Homme le bruit de la raison amené par les armes.


A l'exception de ces trois pôles sonores le son est presque absent à l'exception de l'admirable musique extradiégétique de Villa-Lobos, sur laquelle un troubadour aveugle chante les peines et les révoltes de Manuel. C'est le récit de ses heurs et tourments sentimentaux. Ce mécanisme narratif, légèrement huileux, n'est aujourd'hui plus utilisé, cependant, il n'était pas rare à l'époque que des metteurs en scène de talents en usent. Il est difficle d'oublier la balade du Chuck O Luck de L'Ange des Maudits de Fritz Lang.



Si toutefois il fallait définir le Dieu noir et la Diable blond il demeurerait principalement un film de violence sur la violence en miétadiégèse. Avec ce métrage, nous dit-il, "j'ai fait un film sur la masse paysanne parce que celle-ci est la majorité misérable, la force populaire du Brésil. Chez ces paysans brésiliens, il y a une grande capacité de violence : elle s'exprime de façon mystique - c'est pourquoi je montre ces prophètes " beatos " - ou de façon anarchique, en s'incarnant par exemple dans les " Cangaceiros ". Telle quelle, cette violence révèle un grand besoin de changement social, politique et historique. Les gens vivent dans la violence, mais n'en n'ont pas conscience. Pour cette raison peut-être, je cherche à faire un cinéma qui soit une sorte d'agression totale. On voit souvent des films qui sont des réflexions ou des spéculations intellectuelles. Ces films, je les aime et je les respecte, mais je pense que le cinéma pourrait impliquer aussi une action plus violente. Etant donnée la réalité du " tiers monde ", je dois faire passer l'action avant la réflexion, et mon cinéma est surtout un travail " d'agitation ". En somme, je voudrais que le Dieu noir et le Diable blond soit une espèce de fable révolutionnaire".


Cette violence frontalement incarnée hors de la réflexion se matérialise particulièrement dans une scène paroxysmique, celle du vol de la casinha. Manuel y trouvant un crucifix qui réssucite ses affects religieux, il entame une procession alors que le brigand viole la femme du couple habitant la demeure devant son maris forcé à la regarder subir les assauts tout en souffrant d'une violente bastonnade. La situation par l'absolutime de chaque action révèle l'ultra violence d'un monde couvert de mystiques qui ordonnent une justice au grès des envies. Cette scène synthétique du débat moral s'achève quand le vacher porte la croix du christ dans sa main droite, signe du dieu, et le poignard du matadore dans sa main gauche, signe du diable. Il devient homme diable en choisissant le poignard, comme il avait été homme saint en montant le mont agenouilllé, portant ses péchés sur les fenêtres du crane.


Ghislain

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