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Sciuscià

Los Angeles, 1947, comme à l'accoutumée les prémices de mars sont pleines de vifs relants de chaleurs en Californie. En cette soirée du 13 le Shrine et la cérémonie des Oscars qui s'y déroule s'apprêtent à être marqués durablement par Sciuscià qui remportera le premier Oscar du meilleur film étranger.


Pourtant, sa piètre sortie italienne ne présageait en rien cette célébration qui ancrera définitivement le film dans l'Histoire du cinéma. Aujourd'hui, la Cineteca di Bologna avec le concours d'importants cinéastes d'origine italienne, principalement Martin Scorsese, honore par la restauration 4K, la première entièrement composée des négatifs caméra et sonores de 1945 -c'est dire la proximité entre la restauration et l'originale-, le geste novateur de Da Sica.


Comme toute entreprise filmique Sciuscià n'est pas la résultante du travail d'un seul homme. Si Da Sica en est le principal auteur en ses qualités de scénariste / réalisateur, le travail de Zavattini est fondamental. Il s'agit d'ailleurs de la première collaboration serieuse entre les deux hommes qui ouvrira sur vingt deux oeuvres et l'un des tandems les plus importants du cinéma italien, rarement égalé dans la description sociale qu'ils prennent et font du monde sinon par un autre tandem aux ambitions politiques, Kenneth Loach / Paul Laverty.


Zavattini et Da Sica avaient fait le choix moral fort de ne pas saisir la caméra seulement comme un objet artistico-commercial mais politique, le réalisateur expliquant ainsi sa posture : "Nous voulions chercher le salut. Je crois que Sciuscià, le film qui est né de ce besoin, a marqué la fin de mes mises en scène commerciales". En cela, les partis pris moraux qui s'incarnent dans la forme filmique inscrivent définitivement et puissamment l'œuvre dans une tentative néoréaliste; mot alors anachronique tant Da Sica vînt en avant de toute dénomination au courant. Nous sommes en 1946 et Rome, Ville ouverte a lancé quelques mois plus tôt ce qui deviendra un moment crucial du cinéma social.


Aujourd'hui encore la geste des maîtres néoréalistes résonne. Ne pouvons nous pas remarquer chez Desplechin, dans les premières oeuvres de Dumont, chez les Dardennes, ou en écho de Sembène à Saura les revendications néoréalistes et la facon toute particulière qu'ils ont eu de les materialiser ?



Ce film par la description qu'il fait du sort de ces deux héros, fils de la rue, dévoile l'engrenage social qui les ensable dans la déviance. L'ambition morale est évidente; ca ne sont pas leurs choix qui les mènent au tragique destin qui leur est reservé, car tous les choix ne se font qu'en une réalité falsifiée par ceux qui la domine, à l'image de la scène de révélation dans laquelle Pasquale dupé par un surveillant vînt à donner le nom des voleurs, mais c'est bien un système social, que Zavattini et Da Sica décriront en précision, qui les emporte. Aucun personnage n'agit par volonté, seulement par conditionnement sinon obligation, ainsi, aucun n'est bon ni mauvais. Si le frère de Giuseppe est amené à voler c'est par refus d'une pauvreté systémique. Proudhon ou Sade ont dans leurs écrits légitimés ces actes dans une société dont le pacte social n'est qu'à une minorité profitable. De même, les "maîtres" de la prison, comme les nomment ironiquement les enfants, n'agissent pas par pur cynisme, c'est la situation carcérale qui les force à contraindre leur sentimentalité, tel le second de la prison qui souffre en sa fonction de cette compromission. Zavattini retire la capacité de chacun à disposer de soi-même, et par contraste Da Sica la restitue dans une mise en scène tendre à l'égard de ses personnages, pour couvrir d'un crêpe d'humanité cette vérité de l'Italie d'après guerre alors trop peu décrite. Geste qu'ils renouvelleront avec une magnificence supérieure encore en 1948 dans Le Voleur De Bicyclette.


Une ligne de dialogue de Pasquale traduit ce parti pris du dévoilement de l'irregardable : "Cette tête c'est la mienne, si elle ne te revient pas, regarde ailleurs !". Or, la caméra n'effectue aucun mouvement ni changement de point, Da Sica se refuse à détourner le regard, il empoigne la manivelle d'une main résolue de tendresse et capture une enfance volée d'avoir voulue vivre un peu plus ardemment.


Débutant dans le mouvement et l'espoir, matérialisé par une caméra mouvante et le cheval courant, moyen de déplacement physique autant que social en cela qu'il est signe de réussite, la majeure partie du film s'immobilise dans l'enfermement carcéral. Pauvre en tout et riche en rien la quête équine sera ce qui les anime, enrichissant leur quotidien. Rapidement, ils obtiendront le cheval, seul bien qu'ils pourront chérir jusqu'à dormir avec dans l'étable sur une épaisse couche de foin. Dès lors qu'ils possèdent, un nouveau dynamisme narratif se met en place et on craint qu'ils perdent leur joyau. Et c'est bien une fois l'espoir réalisé qu'il deviendra source de leur désespérance et celui de leur enlisement.


Le film, partitionné en une construction bipartite, voue un premier temps à l'amitié entre les deux héros bâtie autour de la possession du cheval et un second qui voit cette amitié se déliter jusqu'à l'antagonisme. La description que font les auteurs de cette Italie post mussolinienne et particulièrement celle du système carcéral pour mineurs montre la rudesse de ce monde pour les plus faibles. Monde qui détruit tout jusqu'à fagociter l'amitié et faire mourir un corps, celui du plus fragile des enfantins bagnards, piétiné.


Ceux qui ont le moins sont ceux qui souffrent le plus. Voilà l'injustice que dénonce Sciuscià, atteignant son acmée dans la cours de justice; Pasquale, parce qu'il n'a pas de famille, reçoit toutes les charges, l'avocat de Giuseppe profitant de ce manque pour l'accabler et dédouaner son client de sa responsabilité. Souffrez de ne pouvoir que sentir de la tendresse pour l'orphelin en cette scène d'isolement totale !... la justice profitant de cette condition pour l'enfoncer plus encore dans la détresse.


Tout détruit l'amitié, les forces policères, le système carcéral, même les instances judiciaires, rien n'épargne à ces minorités la souffrance.


Forcés à renoncer à l'adolescence pour devenir adultes, les deux héros perdent leur humanité par un enchaînement logique pouvant se résumer par la sentence "les victimes deviennent bourreaux". Si Pasquale tue Giuseppe lors de la dernière séquence c'est qu'il n'est plus le Pasquale de la première; Un film les sépare. Film dans lequel l'un et l'autre seront victime de mensonges, de tromperies, d'obligations morales et de violence les menant à une reproductibilité mécanique.


C'est dans la mort de Giuseppe, suivie du départ du cheval, que Pasquale, la tête tondue, recouvre son humanité avec horreur avant d'être repris pour la perdre à jamais. Si le mot Fin clôt le film, il achève aussi l'humanité de Pasquale et la vie de Giuseppe.


Ghislain


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