La projection de Thamp s’inscrit déjà comme l’une des séances les plus mémorables de cette 75ème édition du Festival de Cannes. Après quelques mots prononcés par les restaurateurs du film, puis des remerciements de la comédienne Jalaja, membre de la distribution, la salle s’obscurcit et le générique défile. C’est après une vingtaine de minutes de visionnage, que des ronflements commencent à retentir du fond de la salle. Et ainsi, au cours des 110 minutes qui suivent, nombreux sont les spectateurs qui luttent contre le sommeil, y fléchissent, ou tout simplement, se faufilent vers la sortie. Ce qui avait initialement été présenté comme un conte méditatif, se révèle être pour beaucoup, une longue agonie contre les bâillements. En clair, Thamp, selon les sensibilités, constitue une expérience transcendante pour les uns, et un aléa soporifique pour les autres.
Déniché par la Film Heritage Foundation, l’œuvre de Govindan Aravindan est projetée en association avec le pays mis à l’honneur cette édition, l’Inde. Il s’agit de l’unique projection, cette année, en malayalam, langue de ses régions du sud. Mais dans ce film, rares sont les occasions d’entendre des paroles, contenant très peu de dialogues ; le réalisateur privilégie la musique traditionnelle aux scènes bavardes. En réalité, tout se construit autour d’une abstraction dans Thamp : les personnages, l’intrigue, les mots. Govindan Aravindan s’éloigne des sentiers battus et offre une narration bien différente du cinéma traditionnel.
Presqu’une docufiction, le cinéaste tourne dans un village du Kerala, et nous plonge dans le quotidien d’une troupe de cirque s’étant installée aux alentours. C’est donc la longue étude d’un court séjour du groupe nomade qui dirige le long-métrage. Durant cette brève escale, le chapiteau est dressé et les numéros s’enchaînent. La notion du temps est très appuyée dans l’intégralité de l’œuvre. Avec le départ prématuré de la troupe, le film cherche à faire comprendre que le caractère éphémère de son mode de vie nomade trace une dichotomie avec l’ancienneté des membres du cirque. En effet, les voix off peignent leurs emplois comme des condamnations, constamment en déplacement, incapables de s’enraciner hors de leurs obligations professionnelles. Et peut-être le rythme des plans, élongé jusqu’à l’usure, reflète-t-il cette peine. Mais si cela constitue une décision artistique louable, l’aliénation du public, comme il est arrivé dans la salle Buñuel, devient alors inévitable.
Il est donc dommage que cela empêche certains d’admirer la photographie de Shaji N. Karun. La restauration de l’œuvre permet de pleinement apprécier le travail immaculé de l’image en noir et blanc, dont la composition sobre donne à voir des paysages et des visages, toujours plus pittoresques les uns que les autres. Si l’histoire de Thamp peut paraître sans intérêt, son identité visuelle, elle, regorge de sens dans chaque recoin de son cadre.
Cannes Classics a alors permis à beaucoup de (re)découvrir cette pièce atypique de Govindan Aravindan, et ce, à des avis scindés. À tenter par soi-même, Thamp n’est pas un film qui se laisse définir. Et qu’importent les manières d’appréhender ce long-métrage ; il laisse rarement indifférent, et sans doute est-ce cela la marque d’une grande œuvre.
Conrad
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